Thilo Krause

Presque étranger pourtant | Roman ZOE

Roman traduit de l’allemand par Marion Graf

Un homme hanté par son enfance rentre au pays. Il y retrouve ses souvenirs intacts, les meilleurs comme les pires. Les allées de pommiers. Le ciel immense. Les falaises de grès. Et Vito, l’ami d’enfance qui fut, dans un système asphyxiant, son compagnon d’apesanteur. Mais avec lui ressurgit le spectre de l’accident originel. Bientôt, la présence aimante de sa femme et de sa petite fille ne suffisent plus à chasser le vertige. Des néo-nazis rôdent, une sourde menace plane, diffuse mais persistante. La nature échappe, se déchaîne. Quelle force pourra lever la chape de silence et d’hostilité ? Le suspense subtil de ce roman place le lecteur au plus près du narrateur.

Dans un va-et-vient entre l’enfance et l’âge adulte, l’amplitude de la langue mêle avec un naturel inédit l’intime et le politique dans le paysage bouleversé de cette région frontalière des bords de l’Elbe.

ISBN 978-2-88927-990-6
Nombre de pages 208
Format du livre 140×210 mm

Extrait

«Une fois que j’ai contemplé la maison à satiété, par-delà mes orteils, je traverse en équilibre quelques crevasses pour atteindre la face ouest de la falaise, et j’aperçois l’autre village, celui où Vito et moi avons vécu enfants. D’ici en haut, je peux regarder en avant et en arrière. D’un côté la maison, où Christina met en ce moment la petite au lit. De l’autre le village de mon enfance. Entre deux, une route serpente, se perd dans les boqueteaux pour surgir à nouveau entre les champs, comme un ruban luisant. Le crépuscule dure une éternité, toutes les ombres s’étirent, plus longues que les choses elles-mêmes. Les couronnes se balancent. Tout se met à tournoyer. Tout se brouille. Vito, qui à présent vit en bas, au bord de l’Elbe, Christina, la Petite, hier, aujourd’hui. Quand ça tournoie ainsi, c’est l’heure de descendre, en prenant appui sur le grès, pour rejoindre le sentier équipé d’étais de fer et de madriers, toujours le même, celui que je suivais à l’époque avec Vito. Pendant la journée, les gens viennent, se hissent par les crevasses et les saillies jusqu’au point de vue où se dresse la girouette en fer-blanc. Le soir, il n’y a personne. Par les cheminées et les fissures, un reste d’humidité monte et s’évapore.»

Médias

«Presque étranger pourtant est le premier roman (fort bien traduit) du poète Thilo Krause, né à Dresde en 1977. Fiction et autofiction s’y entremêlent, Krause tissant avec une grande habileté les fils de la part autobiographique dans une toile plus large. Une toile qui est aussi le reflet d’une situation politique où la chute du Mur semble avoir exacerbé les oppositions au lieu de les estomper.» (Le Monde, Pierre Deshusses)

«(…) Tel est le ressort de l’intrigue, mais il ne dit pas tout d’un roman dont le mécanisme fonctionne comme une spirale que le narrateur creuserait peu à peu, pris entre son passé et son présent. Celui auquel Thilo Krause n’a pas donné de nom cherche à savoir qui il est, et compte sur son retour au pays : ressassant les souvenirs jamais enfouis qui reprennent vie sur les chemins de son enfance, il confond l’espace et le temps dans une même quête, une même rêverie, dont la traduction de Marion Graf suit les méandres. Les mots, par leur seule puissance évocatrice, ont désormais tous les pouvoirs, y compris celui de faire surgir de l’absence la femme qu’il aime : « à force de la raconter, je l’ai fait survenir » : on ne saurait faire meilleur éloge de la littérature, et la poésie s’empare de ce jeu de correspondances entre la mémoire et le paysage, entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’éphémère et l’immuable. Un détail happé au passage, une couleur, un geste fugace, tous ces petits riens minutieusement captés font vivre le texte et réservent de belles surprises de lecture. Ainsi : « Je me souviens que la pluie m’enveloppait comme un manteau. J’avais l’impression que j’y disparaissais, que je devenais invisible dans le camouflage tremblotant des gouttes et du crépuscule ».» (Un article de Jean-Luc Tiesset à lire ici)

«Le romancier est d’abord un poète et cela se sent. Dans les descriptions des paysages de cette région de l’ex-Allemagne de l’Est qu’on appelle la Suisse saxonne, les éléments naturels, l’eau, la roche, le vent sont souvent évoqués. Et comme c’est le cas pour de nombreux poèmes, le texte garde une part de mystère qui étonne et laisse parfois perplexe. […] Mystère admirablement rendu par la traduction de Marion Graf, pour qui « la précision sensuelle et visuelle de la langue est caractéristique du travail de poète de Thilo Krause. Son roman décrit par métaphores et de manière symbolique des impressions et des sentiments inexprimables autrement. » Un inexprimable que l’auteur nimbe d’une étourdissante beauté par la force de la littérature. (…) Le voile noir du fascisme plane aussi sur ce paysage ancien. (…) Le politique se mêle à l’intime et la présence discrète des crânes rasés fait planer une menace diffuse sur ce magnifique roman. Le retour sur les terres de son enfance permettra- t-il au narrateur de se retrouver lui-même ?»  (La Liberté, Stéphane Maffli)

«Le brouhaha d’une rentrée littéraire, fut-elle d’hiver, cache toujours des notes plus fines et plus durables, des livres éloignés de l’actualité, présents autrement. Presque étranger pourtant est de ceux-là. (…) Les descriptions de la nature sont d’une précision stupéfiante. Elles contribuent à son étrangeté, son mystère tout n’est pas expliqué. […] Il faut souligner là la sensibilité de la traductrice, Marion Graf, qui différencie et fusionne à la fois les temps, jouant très subtilement de tous ceux qu’offre la langue française. Sa traduction est d’une folle sensibilité. […] Presque étranger pourtant dit le titre. Le récit ne va pas vers la paix et l’unité de soi retrouvée. Les eaux montent, l’inondation oblige à fuir, de mauvais sujets chassent le fils du pays, devenu l’étranger, des croix gammées flottent. « Une catastrophe au paradis » glisse l’écrivain quelque part, dans les fourrés de son récit qui s’achève comme une parabole. (Un article de Cécile Dutheil de la Rochère à lire ici)

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